Cet article s’inscrit dans notre série sur les incidences des tarifs douaniers américains sur les employeurs canadiens. Pour plus d’information, consultez le Centre de ressources sur le commerce et les tarifs douaniers de BLG.
La récente imposition de tarifs et l’incertitude qui en découle posent déjà des problèmes bien réels pour les employeurs et les syndicats dans les secteurs qui reposent sur l’exportation de biens, de produits et de matériaux, comme les industries de l’automobile, de l’acier et de l’aluminium, ainsi que celles de la fabrication, de l’agriculture et de la foresterie. À court terme, les tarifs perturberont les chaînes d’approvisionnement, feront augmenter les coûts et, malheureusement, entraîneront des mises à pied, des compressions des effectifs et possiblement même des fermetures complètes d’entreprises. L’anxiété se fait déjà sentir dans de nombreux milieux de travail.
Les dirigeants syndicaux réagissent de plusieurs façons. Certains affirment qu’ils contesteront les mises à pied, le mouvement du travail et les autres initiatives prises en raison des tarifs (ou causées par ceux-ci), alors que d’autres ont reconnu que la lutte à mener n’est pas contre les employeurs de leurs membres, mais plutôt contre ceux qui imposent les tarifs. Par ailleurs, le président du syndicat américain United Auto Workers (UAW) a récemment fait l’éloge des tarifs, les qualifiant d’outils permettant de créer des emplois manufacturiers aux États-Unis.
Historiquement, les tensions du genre ont négativement affecté la relation entre les employeurs et les syndicats. Les employeurs qui se sont fiés uniquement à leur droit de gestion pour changer le statu quo ont rencontré une résistance de leurs syndicats, qui se sont opposés par voie de griefs, de requêtes aux commissions des relations de travail et de négociations collectives hostiles, menant parfois à des grèves ou lockouts.
L’environnement actuel requiert une approche particulière. Face à la menace externe, les parties dans les milieux de travail doivent laisser de côté la dynamique habituelle d’employeur contre syndicat. Il serait bien sûr naïf de suggérer que les entreprises et les syndicats s’entendront sur tout ce qui touche les tarifs, mais l’hostilité doit être remplacée par un dialogue ouvert et transparent. Autrement dit, la coopération – et non la confrontation – est la clé.
Mais comment y arriver?
- Nous suggérons aux employeurs d’informer les syndicats des nouveaux enjeux et défis le plus rapidement possible. De nombreuses conventions collectives demandent que les employeurs donnent un préavis à leur syndicat avant des mises à pied ou tout autre ajustement du milieu de travail, et d’autres ne le mentionnent pas du tout. Dans tous les cas, les employeurs doivent aller plus loin que les minimums négociés et communiquer avec les syndicats le plus rapidement possible afin d’éviter de les prendre de court; cela évitera beaucoup d’anxiété et de confrontations.
- Les employeurs doivent envisager d’établir un groupe de travail ou un comité de planification à l’interne avec des représentants des deux parties. Faire front commun pour trouver la réponse appropriée aux tarifs, améliorer la compétitivité de son entreprise ou cibler d’autres marchés à explorer est important.
- Une autre option est de temporairement mettre en pause ou ajuster certaines modalités des conventions collectives. Par exemple, en réduisant les heures de tout le personnel pendant un certain temps au lieu de mettre à pied les nouveaux employés et de ne garder que les plus anciens. Le changement des conventions collectives exige généralement l’accord des syndicats.
- Lors de la négociation d’une nouvelle convention, il pourrait être judicieux de geler temporairement les salaires et d’introduire une clause de reprise des négociations sur les salaires à la fin de chaque année.
- Trouver un terrain d’entente est essentiel. Toutes les parties – entreprise, syndicat, personnel – veulent des emplois stables, une croissance à long terme et la pérennité. Les employeurs doivent avoir des conversations honnêtes avec leur syndicat pour éviter les mises à pied ou, du moins, assurer que les pertes d’emploi sont réduites au minimum.
Ce n’est pas la première fois que les employeurs canadiens sont confrontés à des tarifs, ou à des perturbations importantes – pensons par exemple à la pandémie de COVID-19. La situation actuelle est toutefois inédite pour ce qui est de l’incertitude quotidienne et de la portée des tarifs.
Il est aussi rare pour les syndicats canadiens et américains de ne pas s’entendre sur leur vision des tarifs et de leurs incidences. Le fait que l’UAW en parle comme d’un outil démontre que les employeurs et les syndicats canadiens pourraient être du même côté du débat, même si la partie opposée est un autre syndicat. Ils se retrouvent donc dans une situation unique, où ils doivent réfléchir à des moyens de travailler ensemble pour sauver des emplois et affronter l’UAW.
Les milieux de travail au Canada ne sont actuellement pas dans une position où les parties doivent s’opposer pour renforcer leur pouvoir de négociation. Au contraire, les employeurs et les syndicats doivent travailler ensemble. Chaque partie est faible individuellement, et encore plus affaiblie si elle s’isole. Nous faisons face à un potentiel tournant dans les relations de travail au Canada, qui n’ont pas toujours été cordiales par le passé. La collaboration et la bienveillance sont de mise des deux côtés, faute de quoi des pertes d’emploi pourraient survenir. Il est temps de s’éloigner des négociations et des relations de travail traditionnelles et de se concentrer sur ce que l’on peut faire ensemble pour assurer la pérennité de son entreprise, de sa main-d’œuvre et de sa place sur le marché.
Les deux parties ont avantage à comprendre qu’elles sont des alliées et non des adversaires. Les employeurs et les syndicats doivent se montrer souples et collaborer comme jamais auparavant. La confrontation et la rigidité ne feront que nuire à notre économie et à nos milieux de travail.
Auteur : Clifford Hart
Révision et contribution de : Shelley-Mae Mitchell (Vancouver) et Danny Kaufer (Montréal)