POINT DE VUE
Des « portefeuilles sur roues » : les véhicules autonomes et l’avenir des services financiers @Model.HeaderTag>
Stephen Redican et Cindy Zhang, en entretien avec Barrie Kirk, ing., directeur général du CAVCOE
Les véhicules autonomes et connectés (VAC) changeront la vie des gens de bien des façons, dont certaines restent inimaginables mais loin d’être impossibles.
Selon Barrie Kirk, directeur général du CAVCOE (autrefois le Canadian Automated Vehicles Centre of Excellence), il y a un parallèle à faire entre 2020 et 1908, année du lancement de la production de masse de la Ford T. Henry Ford était un inventeur et un homme d’affaires de génie, mais il n’avait sans doute pas prédit à quel point sa création allait révolutionner la vie des gens, les villes, les infrastructures, les entreprises et les gouvernements.
Barrie Kirk estime que le déploiement des VAC provoquera un séisme de la même ampleur que la Ford T au cours des prochaines décennies.
Dans ce numéro de Sur le radar, nous verrons comment les véhicules autonomes transformeront fondamentalement l’expérience quotidienne d’achat et d’utilisation des services financiers des automobilistes de demain.
Comme c’est le cas pour les VAC, l’avenir des services financiers, en particulier des systèmes de paiement, sera tributaire des nouvelles technologies et de l’adoption d’une approche privilégiant le numérique. De la modernisation des systèmes de paiement au Canada à l’informatisation ubiquitaire des géants des technologies financières, le secteur des paiements se numérise à la vitesse grand V.
Pour que cette synergie porte ses fruits dans le domaine des VAC, il faudra comprendre et exploiter la puissance des technologies, et bien planifier la suite. Or, les changements réglementaires qui attendent les fournisseurs de services de paiements au Canada, combinés à l’émergence du système bancaire ouvert et aux préoccupations relatives à la cybersécurité et au respect de la vie privée, toujours présentes et en constante évolution, rendent ces temps difficiles pour le secteur des paiements. Chose certaine, vu l’éventail grandissant de choix pour les entreprises et les consommateurs et le nombre sans précédent de nouveaux venus et d’offres de services avant-gardistes sur le marché, les modèles de paiement existants seront ébranlés par l’arrivée des VAC.
La pandémie de COVID-19 et les règles de distanciation physique n’ont fait qu’accélérer la numérisation des services dans presque tous les secteurs. Elles ont fait ressortir la nécessité d’offrir des services financiers, bancaires et de paiement à distance ou sans contact.
Barrie Kirk, qui se décrit comme un futuriste passionné d’histoire, nous livre ses réflexions sur la fascinante convergence entre les VAC et les systèmes de paiement de demain. Nous nous intéresserons particulièrement aux différentes applications et technologies susceptibles de voir le jour, et aux éventuelles occasions de collaboration dans les secteurs de l’automobile et des paiements.
Les parties prenantes au développement et à la commercialisation des VAC devront tenir compte des obligations résultant de la surveillance réglementaire et des dispositions législatives applicables. On parle ici des fournisseurs et fabricants de VAC, ainsi que des entreprises technologiques et des institutions financières qui offrent des services financiers et de paiement aux propriétaires et exploitants de véhicules.
Par exemple, si un VAC enregistre les données bancaires de son propriétaire et comporte des mesures d’authentification et de vérification de l’identité, ces renseignements devront être protégés en cas de vol ou de piratage du véhicule. Les régimes d’assurance tiendront-ils compte de la répartition du risque entre le fournisseur de VAC et le fournisseur de services financiers ou de paiement? La responsabilité contractuelle suffira-t-elle?
Autre grande tendance qui se dessine : l’arrivée imminente des taxis robots marquera la fin du rapport un pour un, c’est-à-dire une voiture par personne ou groupe de personnes. Les VAC étant plus dispendieux que les véhicules non connectés, leur prévalence sera d’abord sans doute plus grande dans le secteur des taxis robots ou de l’économie de partage que dans la population en général.
Dans le domaine des paiements, des analystes prédisent déjà l’arrivée de divers services associés aux VAC, qu’il s’agisse du paiement de services externes en cours d’utilisation (service au volant dans les restaurants, essence, recharge de véhicule électrique, lave-autos, routes à péage, stationnement) ou de services internes en cours d’utilisation (applications de cartographie/circulation, actuellement gratuites), ou encore de services de diffusion en continu pour les nouvelles ou le divertissement. Il est aussi beaucoup question de la gestion de parc automobile. À l’heure actuelle, une carte de paiement est émise à un véhicule – et non à un conducteur – pour les dépenses liées à son utilisation (essence, recharge, réparations ou entretien).
Il y aura probablement d’autres utilisations à distance, par exemple, des paiements effectués par ou pour un véhicule en mode autonome qui se rend chez le concessionnaire pour un entretien ou passe chercher une commande à l’épicerie, ou encore l’acceptation de paiements pour l’utilisation d’un taxi autonome. Dans cet article, nous nous concentrons sur les paiements non autonomes mais connectés, même si la réalité des paiements autonomes sera vraisemblablement similaire.
Barrie Kirk se joint à nous pour notre toute première discussion sur le sujet.
Entretien avec Barrie Kirk
1. Question : Quels seront les principaux changements provoqués par les VAC dans le secteur des services financiers?
Réponse : Tout d’abord, le secteur des prêts automobiles bancaires sera secoué, car l’arrivée des taxis robots fera chuter les ventes de véhicules, ce qui réduira la taille du marché des prêts aux particuliers.
Le milieu de l’assurance automobile ne sera pas épargné : le nombre de collisions diminuera considérablement et il y aura moins de propriétaires de véhicules à assurer.
Enfin, les véhicules de demain seront beaucoup plus connectés. Des voitures sans conducteurs rouleront jusqu’aux bornes de charge, se brancheront toutes seules et régleront la note. Il serait intéressant de savoir si une voiture complètement autonome, dotée d’une intelligence artificielle comparable à celle d’un humain, aura son propre compte bancaire.
2. Question : Au Canada, l’aller-retour quotidien moyen des automobilistes dure 56 minutes. L’avantage le plus évident des VAC pour les navetteurs, c’est qu’ils rendront ce trajet plus productif, agréable, voire les deux. Toutefois, pensez-vous que l’essor du télétravail et de l’économie de partage – peut-être même l’augmentation de la demande de vélos – viendra tempérer l’intérêt du public pour les VAC? Sinon, pourquoi?
Réponse : La principale raison qui pousse les gens à abandonner leur voiture au profit des taxis robots, ce sont les économies. Ce sera le cas, que le navettage soit en hausse ou en baisse. Je prévois une augmentation importante de l’utilisation des taxis robots au cours des prochaines années. En octobre 2020, Waymo a annoncé qu’elle s’apprêtait à offrir un service de taxis complètement autonomes au grand public à Phoenix, en Arizona. C’est une percée majeure, car il n’y aura pas de conducteur pour prendre le volant en cas de pépin. La première génération de taxis robots est arrivée, même si les capacités et le déploiement seront au départ limités.
3. Question : Parmi les utilisations et les méthodes possibles, y compris celles qui ont déjà été mentionnées, lesquelles ont le plus de chance de voir le jour et de réussir? Lesquelles semblent vouées à l’échec?
Réponse : L’écosystème des VAC compte deux grands segments : les VAC avec passagers et les VAC sans passagers. Les premières flottes de taxis robots seront déployées dans les centres urbains denses, cartographiés en haute définition. Je m’attends aussi à un vaste déploiement de VAC sans passagers pour l’entretien hivernal des trottoirs, la livraison aux particuliers et aux entreprises, l’agriculture, l’exploitation minière, la construction, etc. Ces véhicules sont plus faciles à déployer que les VAC avec passagers, leurs risques pour la sécurité étant plus faciles à éliminer. Il faudra peut-être attendre à la fin des années 2030 avant de voir arriver sur nos routes des VAC sans passagers évolués qui peuvent rouler n’importe où, n’importe quand, dans toutes les conditions météorologiques.
4. Question : Quelles seront les technologies de paiement utilisées? S’agira-t-il par exemple de technologies sans contact dotées d’une forme de communication en champ proche (CCP) à portée élargie, de systèmes de communications spécialisées à courte portée (CSCP) ou de technologies LTE ou 5G?
Réponse : Il n’y a pas encore de consensus à cet égard. Toutefois, le caractère ubiquitaire de la 5G la place en haut de la liste. C’est une option attrayante pour les paiements en raison de sa faible latence, de son débit élevé et de sa courte portée.
5. Question : Comment les paiements fonctionneront-ils? Seront-ils effectués au moyen de l’appareil ou du portefeuille mobile du conducteur? Le véhicule deviendra-t-il ou hébergera-t-il un portefeuille mobile? Par exemple, les données de paiement seront-elles stockées dans le véhicule? Y aura-t-il un transfert et un échange de données entre l’appareil ou le portefeuille mobile et le véhicule à l’arrivée d’un conducteur? Les paiements seront-ils effectués autrement? Y aura-t-il différents modèles de paiement? Si oui, lequel dominera le marché selon vous et pourquoi?
Réponse : Il est trop tôt pour le dire. Je m’attends à un écosystème composé de plusieurs parties prenantes, comme c’est le cas actuellement dans le secteur des paiements.
6. Question: Le conducteur devra-t-il valider ses achats (par exemple, sur un écran)? L’authentification et la vérification de l’identité seront-elles automatiques et liées à la géolocalisation, à l’état du véhicule (faible niveau de carburant, entretien à effectuer), à l’historique de paiement (moment, montant, fréquence) et à d’autres données sur le conducteur ou le véhicule?
Réponse : Il faut distinguer les achats effectués par un humain de ceux qui sont effectués par le véhicule. Il y a fort à parier que les opérations effectuées par un humain nécessiteront une vérification, peut-être à l’aide d’un système de reconnaissance vocale ou faciale. Les opérations effectuées par le véhicule devront être sécurisées, mais ne nécessiteront pas une authentification humaine. De toute façon, si le véhicule roule sans conducteur, l’authentification humaine serait impossible, sauf à distance.
7. Question : Y a-t-il des débouchés du côté des programmes de fidélisation ou de récompense chez certains détaillants (par exemple, les stations-service)? Si oui, lesquels vous semblent les plus probables ou susceptibles de se généraliser?
Réponse : Les programmes de fidélisation seront chamboulés et devront changer. Les taxis robots seront détenus et exploités par des entreprises de mobilité-service. Comme le pourcentage de véhicules appartenant à des particuliers sera moins élevé, les programmes de fidélisation qui leur sont destinés perdront de leur pertinence. Toutefois, les programmes de récompense pour les fournisseurs de mobilité-service deviendront très populaires.
8. Question : Dans le contexte plus général de l’Internet des objets, pensez-vous que les paiements et les VAC seront connectés à d’autres appareils, comme un réfrigérateur capable de commander des aliments quand il n’en reste plus et d’envoyer le véhicule les acheter? Si oui, qu’est-ce qui agira comme système de paiement? L’appareil (dans notre exemple, le réfrigérateur), le véhicule, une combinaison des deux (grâce à une solution infonuagique), ou autre chose? Avez-vous d’autres exemples?
Réponse : Les systèmes de commande et de paiement deviendront de plus en plus automatisés et interconnectés, comme dans votre exemple. On utilisera aussi des VAC sans passagers pour les livraisons, en plus des VAC avec passagers.
On peut aussi prendre comme exemple les taxis robots, qui pourront se rendre seuls aux points de service et payer pour leur nettoyage, leur entretien et leur recharge.
9. Question : Quelle sera l’importance des « systèmes d’exploitation » (si on compare à iOS et Android)? Par exemple, les véhicules des différents fabricants pourront-ils « communiquer » avec les pompes à carburant et les bornes de recharge de fournisseurs différents, à des stations différentes?
Réponse : Il faut d’abord distinguer les systèmes d’exploitation des protocoles de communication.
Chaque entreprise aura vraisemblablement sa propre plateforme, et donc son propre système d’exploitation, pour ses véhicules. Il y aura toutefois des protocoles pour assurer la communication entre les différentes plateformes, comme il en existe déjà. Après tout, on peut échanger sans problème des courriels entre des appareils Android, Apple, Microsoft ou autre. Il existe des protocoles normalisés, comme FTP et HTTP. La 5G Automotive Association (5GAA) s’affaire aussi à établir des normes et des pratiques exemplaires à cet égard.
10. Question : On parle d’une possible désintermédiation des banques et des autres fournisseurs de services de paiement traditionnel par les fabricants d’équipement et les sociétés de technologies financières. Selon vous, qui sera responsable des flux de paiement? Les transactions seront-elles assurées par le fabricant d’équipement, l’institution financière, le réseau de paiement, le fabricant d’électronique ou le fournisseur de paiement électronique?
Réponse : Je ne sais pas. Cela dit, si je me fie à ce qu’on voit ces derniers temps, je pense que les entreprises de paiement non traditionnel vont y flairer des occasions d’affaires et entrer dans le marché.
- Par : Stephen J. Redican, Cindy Y. Zhang
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