Cet article fait partie d’une série rédigée à l’intention d’entités internationales qui souhaitent lancer ou exploiter une entreprise au Canada, ou encore investir dans une société canadienne. Du droit de l’emploi au droit fiscal, chaque article couvre un secteur juridique fondamental au Canada et fait l’objet d’une mise à jour annuelle. Vous trouverez toute la série sur la page Faire affaire au Canada : Guide pratique de A à Z.
L’une des questions essentielles que doit trancher toute entité commerciale étrangère cherchant à s’établir au Canada est le type d’entreprise qu’elle souhaite lancer, en fonction de différents enjeux opérationnels et fiscaux. Elle doit déterminer s’il lui est plus avantageux d’exploiter directement cette entreprise en tant que succursale, ou de la créer en tant qu’organisation économique canadienne distincte, comme une filiale (à responsabilité limitée ou, dans certaines provinces, illimitée), une entreprise individuelle, une société de personnes (en nom collectif, en commandite ou à responsabilité limitée) ou toute forme de coentreprise. De plus, elle peut décider d’acquérir une entreprise canadienne déjà établie ou une participation dans une telle entreprise. En règle générale, une entité étrangère peut exercer des activités directement au Canada par l’entremise d’une succursale, mais elle sera fort probablement assujettie aux obligations d’inscription fédérales et provinciales en vigueur.
Succursale ou filiale
Le choix d’exercer des activités en tant que succursale ou en tant que filiale repose sur divers facteurs. Si elle s’attend à des pertes importantes au cours de ses premières années d’exploitation au Canada, l’entité étrangère peut juger avantageux d’opter pour la succursale, ce qui lui permettrait de déduire ses pertes dans le calcul de son impôt étranger à payer, s’il y a lieu. La possession d’une succursale canadienne pourrait aussi faciliter le rapprochement entre l’impôt sur les sociétés payé au Canada et les crédits d’impôt disponibles dans le territoire de résidence de l’entité étrangère.
Bon nombre d’investisseurs étrangers préfèrent faire affaire au Canada par l’intermédiaire d’une filiale, ce qui allège le fardeau administratif et simplifie le processus de conclusion de contrats au pays. La création d’une filiale canadienne limite généralement la responsabilité de la société mère envers son investissement de capitaux dans ladite filiale. Si elle choisit d’exploiter une succursale, la société mère étrangère court le risque d’assumer directement toutes les responsabilités liées à ses activités au Canada.
Pour en savoir plus sur les questions fiscales à examiner avant de choisir entre une succursale et une filiale au Canada, voir la section 10.8 (Impôt de succursale).
Sociétés par actions
Au Canada, la société par actions est la forme juridique la plus usuelle et la plus souvent adoptée par les entreprises étrangères. Comme la société par actions est une personne morale distincte de ses actionnaires, ceux-ci ne sont généralement pas responsables de ses dettes ou de ses obligations. De plus, la société par actions jouit d’une existence permanente, car elle ne sera pas dissoute malgré le décès de l’un ou de la totalité de ses actionnaires.
a) Constitution à l’échelle fédérale ou provinciale
Au Canada, il est possible de créer des sociétés en vertu des lois fédérales ou provinciales/territoriales. Après avoir choisi cette forme juridique, il faut donc déterminer la compétence sous laquelle la société sera constituée. Dans la plupart des cas, le territoire de constitution n’a aucune incidence sur l’application des lois fédérales ou provinciales dans les champs de compétences partagées, comme c’est le cas pour le droit du travail au Canada. Les sociétés constituées selon les lois fédérales ou provinciales/territoriales peuvent exercer leurs activités partout au Canada de plein droit, mais elles sont tenues de respecter certaines exigences provinciales, comme les inscriptions extraprovinciales.
Dans la plupart des territoires canadiens, la législation autorise les sociétés à adopter une convention unanime des actionnaires, c’est-à-dire une entente qui transfère certains des pouvoirs de l’administration vers l’actionnariat. Dans le cadre d’un tel transfert, les administrateurs sont généralement déchargés des responsabilités afférentes, qui incombent dès lors alors aux actionnaires.
Ce type d’accord peut bénéficier à une société étrangère qui souhaite limiter les pouvoirs des administrateurs de sa filiale canadienne sur les activités de celle-ci, surtout si cette dernière et la société mère étrangère ont des administrateurs différents.
b) Sociétés ouvertes, sociétés fermées ou sociétés à peu d’actionnaires
Le droit canadien établit une distinction entre les sociétés ouvertes, qui offrent leurs titres au public, et les sociétés fermées ou à peu d’actionnaires, qui limitent la cessibilité de leurs titres d’une façon ou d’une autre. Bien que les sociétés ouvertes soient soumises à des exigences très sévères de divulgation au public et à des règles fiscales parfois distinctes, les principes fondamentaux du droit des sociétés, y compris la responsabilité limitée des actionnaires, s’appliquent à toutes les sociétés (à l’exception des entreprises à responsabilité illimitée, dont il est question ci-après).
c) Sociétés à responsabilité illimitée
Une société à responsabilité illimitée (SRI) est une forme d’entreprise dont les responsabilités peuvent être imputées aux actionnaires. À cet égard, une SRI s’apparente à une société en nom collectif et diffère de la société classique, où l’actionnariat est généralement dégagé de toute responsabilité quant aux obligations, aux actes ou aux omissions de la société.
Une SRI peut être constituée en vertu des lois de l’Alberta, de la Colombie-Britannique, de la Nouvelle-Écosse et de l’Île-du-Prince-Édouard. Cependant, comme les lois régissant les sociétés varient d’une province à l’autre, la création d’une SRI requiert une évaluation préalable des avantages et des désavantages de chaque territoire. Aussi, la possible obligation redditionnelle des actionnaires d’une SRI doit peser dans la balance.
La viabilité d’une SRI doit également être analysée d’un point de vue fiscal. En ce qui a trait à l’impôt des États-Unis, par exemple, on estime que les SRI sont des intermédiaires, ce qui signifie que la responsabilité fiscale revient à l’actionnariat. Il est donc judicieux de s’adresser à des professionnels pour connaître les conséquences fiscales de la création d’une SRI.
d) Structure du capital
Au Canada, les lois fédérales, provinciales et territoriales encadrant les sociétés permettent une grande souplesse dans l’organisation du capital social. Ainsi, les actions peuvent comporter ou non un droit de vote ou une participation limitée ou illimitée aux capitaux propres et peuvent être rachetables pour un prix fixe au gré de la société ou du porteur. Les actions peuvent également conférer des droits de vote spéciaux sur certaines questions, comme la nomination des administrateurs et l’acquisition ou la disposition d’actifs importants.
Par un choix minutieux des caractéristiques des actions, il est possible de séparer l’apport et le contrôle du capital de la participation aux bénéfices futurs. Cette séparation est particulièrement utile pour organiser le capital des coentreprises et régler des questions d’ordre fiscal.
Parfois, les sociétés mères étrangères préfèrent constituer le capital de leurs filiales canadiennes au moyen de capitaux d’emprunt plutôt que de capital-actions. En règle générale, la législation canadienne n’exige pas d’investissement minimal sous forme de capital-actions. Toutefois, un financement composé en grande partie de titres d’emprunt peut pousser les institutions financières à exiger une caution de la société mère. Ce choix peut également avoir des conséquences fiscales, qui seront abordées ci-après.
Dans la plupart des provinces, la quantité de capital autorisé d’une société n’a aucune incidence sur les droits de constitution ou d’inscription. Ce capital ne devrait donc pas influer outre mesure sur la structure à privilégier.
e) Lieu de résidence des administrateurs
La Loi canadienne sur les sociétés par actions (la « LCSA ») exige qu’au moins le quart des administrateurs de la plupart des sociétés de régime fédéral soient des résidents canadiens. Pour les sociétés constituées en vertu de la LCSA exerçant des activités dans certains secteurs, comme l’édition de livres, la distribution de contenu vidéo ou cinématographique et l’extraction d’uranium, les exigences quant au lieu de résidence des administrateurs sont plus sévères. Certaines provinces imposent aussi leurs propres critères en la matière.
Pour avoir le statut de résident canadien aux termes de la législation fédérale, il faut être citoyen canadien ou résident permanent en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et, sous réserve de certaines exceptions restreintes, déjà résider habituellement au Canada.
f) Dénominations sociales et noms commerciaux
Qu’elles exploitent une succursale ou une filiale, les sociétés doivent inscrire cette entité dans chaque province ou territoire où elles exerceront leurs activités. Les sociétés sont enregistrées dans les provinces ou territoires canadiens sous leurs dénominations sociales, lesquelles peuvent être soumises à des exigences d’approbation dans certains d’entre eux. En soi, l’enregistrement d’une dénomination n’accorde pas d’intérêt propriétal à la société quant à cette même dénomination. Toutefois, il protège passablement la dénomination, puisque les registraires de certains territoires refusent habituellement d’enregistrer une société sous un nom identique ou très semblable à celui d’une autre entité du même territoire.
Pour mieux protéger une dénomination sociale associée à des biens et services, il est possible de la déposer en tant que marque de commerce en vertu de la Loi sur les marques de commerce fédérale. L’enregistrement confère au propriétaire le droit exclusif d’utiliser la marque de commerce conjointement avec ses produits et services dans tout le Canada.
Une société qui exerce des activités au Québec doit aussi respecter des critères précis pour sa dénomination. Ces exigences sont abordées au chapitre 17 (Considérations linguistiques).
Si une société souhaite faire des affaires sous un nom différent de sa dénomination sociale, certaines provinces exigent qu’elle enregistre ce « nom commercial ». Dans la plupart des cas, ce nom ne peut pas être identique ni semblable à celui d’une autre société (sauf dans certaines circonstances précises). En soi, l’enregistrement d’un nom commercial n’accorde pas d’intérêt propriétal à la société quant à ce nom. Cependant, une fois que la société réussit à établir sa réputation sous son nom commercial, elle peut, dans certains cas, interdire à d’autres entreprises d’utiliser ce nom. Il est également possible d’enregistrer un nom commercial en tant que marque de commerce.
Certaines provinces sont plus souples que d’autres quant à l’inscription de sociétés étrangères dont la dénomination sociale pourrait être confondue avec celle d’une société préalablement enregistrée. Dans certains territoires, la société étrangère ne peut être enregistrée que si elle modifie sa dénomination sociale. Dans d’autres, le registraire approuvera l’enregistrement sous réserve de l’engagement de la société étrangère d’exercer ses activités sous un pseudonyme dans ce territoire.
Entreprises individuelles
L’entreprise individuelle, aussi dite à propriétaire unique, constitue la forme juridique la plus simple pour exercer des activités. Aux yeux de la loi, il n’y a aucune distinction entre l’entreprise individuelle et son propriétaire, qui ont le même revenu et les mêmes responsabilités. Ainsi, le revenu de l’entreprise individuelle est inclus dans le calcul du revenu imposable du propriétaire. Bien que les formalités requises pour la création d’une entreprise individuelle soient minimales, il faut parfois respecter des exigences d’octroi de licence et d’enregistrement. De plus, si le propriétaire souhaite exploiter une entreprise sous un nom différent du sien, ce nom doit d’abord être enregistré auprès du gouvernement provincial pertinent.
Sociétés en commandite
La société en commandite est une entité juridique hybride qui offre certains des avantages d’une société à responsabilité limitée ainsi que bon nombre des avantages fiscaux d’une société de personnes. En règle générale, il doit y avoir un ou plusieurs commandités responsables de la totalité de la dette de la société. Il peut également y avoir un nombre indéterminé de commanditaires dont la responsabilité se limite au montant de leur apport. Habituellement, le commanditaire n’est pas autorisé à participer de quelconque façon que ce soit à la gestion ou au contrôle de la société. S’il ne respecte pas cette exigence, le commanditaire s’expose aux mêmes responsabilités que les commandités. Il peut toutefois participer à la prise de certaines décisions fondamentales, comme l’admission de nouveaux commandités et la liquidation ou l’expansion de la société en commandite. Une convention de société en commandite détaillée est requise pour régler ces questions.
Sociétés de personnes
a) Généralités
Une société de personnes se forme habituellement lorsqu’au moins deux particuliers ou entités exploitent une entreprise ensemble dans le but de réaliser un profit, mais sans se constituer en société. La société de personnes ordinaire n’est pas une entité juridique distincte; les responsabilités de la société deviennent donc les responsabilités personnelles des associés. Toutefois, au Québec, la société de personnes possède certaines caractéristiques d’une personne morale, comme une dénomination, un siège social et une capacité légale. Au Québec, l’actif et le passif d’une société de personnes sont aussi considérés comme dissociés de ceux des associés, de sorte que les créanciers doivent d’abord entreprendre un recours contre l’actif de la société de personnes avant d’invoquer la responsabilité personnelle des associés.
Quelques provinces et territoires reconnaissent un deuxième type de société de personnes, soit la société en commandite, où la responsabilité d’au moins un associé (le « commandité ») est illimitée, tandis que celle de tout autre associé (le « commanditaire ») se limite au montant de son apport à l’entreprise.
En règle générale, l’impôt sur le revenu d’une société de personnes n’est pas payé par la société elle-même, sinon par ses associés. Chaque associé sera imposé selon sa quote-part du revenu de la société de personnes et selon les gains en capital réalisés lors de la vente de sa participation. Voir le chapitre 10 (Fiscalité) ci-après.
b) Sociétés en nom collectif à responsabilité limitée
Certaines provinces autorisent les entreprises de services professionnels, comme les cabinets d’avocats et les cabinets comptables, à exercer leurs activités en tant que société en nom collectif à responsabilité limitée. En Colombie-Britannique, cette forme juridique peut être utilisée pour tout type d’entreprise. L’avantage de la société en nom collectif à responsabilité limitée tient au fait que chaque associé n’est généralement responsable que de ses propres actions et omissions négligentes ou illicites, ainsi que des actions et omissions négligentes ou illicites d’une autre personne (associé ou employé de la société), si l’associé était au courant de telles actions ou omissions et n’a pas pris les mesures qu’aurait prises une personne raisonnable pour les prévenir.
Coentreprises
Le terme « coentreprise » n’a pas de définition juridique précise au Canada. Il désigne généralement tout moyen par lequel deux entités ou plus participent à une entreprise commune. Il peut faire référence à des sociétés par actions en coentreprise, à des sociétés de personnes morales ou, plus fréquemment, à une structure (souvent appelée « coentreprise contractuelle ») aux termes de laquelle des sociétés distinctes sont conjointement propriétaires de certains actifs, mais ne constituent pas une société de personnes, du moins aux fins de l’impôt.
Habituellement, les bénéfices ou les pertes de la coentreprise ne sont pas attribués à la coentreprise elle-même, sauf dans le cas d’une société de personnes ou d’une société par actions. Chaque coentrepreneur fait plutôt un apport sous forme d’actifs ou d’espèces pour régler les frais et participe aux bénéfices générés par ces actifs dans une proportion convenue. L’amortissement et le calcul du bénéfice ou de la perte sont déterminés indépendamment par chaque coentrepreneur.
La coentreprise contractuelle a pour désavantage de permettre à un tribunal de conclure, après examen de la situation et de la conduite des parties, qu’un type de société de personnes a bel et bien été créé, même si le contrat stipule expressément que les parties n’avaient pas l’intention qu’il en soit ainsi. Dans ce cas, les parties peuvent se voir assujetties à des lois et à des responsabilités qu’elles cherchaient à éviter en concluant le contrat.