Cet article fait partie d’une série rédigée à l’intention d’entités internationales qui souhaitent lancer ou exploiter une entreprise au Canada, ou encore investir dans une société canadienne. Du droit de l’emploi au droit fiscal, chaque article couvre un secteur juridique fondamental au Canada et fait l’objet d’une mise à jour annuelle. Vous trouverez toute la série sur la page Faire affaire au Canada : Guide pratique de A à Z.
Au Canada, bien que certains secteurs soient soumis à des restrictions fédérales et/ou provinciales, peu de limitations s’appliquent aux investissements étrangers, qui font néanmoins l’objet d’une forme d’examen ou de sélection depuis près de 40 ans en vertu de la Loi sur Investissement Canada (LIC). Cette loi fédérale s’applique aux investissements réalisés par des « non-Canadiens » – un terme qui englobe toute personne n’ayant ni la citoyenneté canadienne ni la résidence permanente et toutes les unités dont des non-Canadiens ont le contrôle ultime – et visant l’acquisition de sociétés canadiennes ou la constitution de nouvelles entreprises canadiennes.
La LIC prévoit deux processus d’examen distincts : (i) l’examen des investissements importants faits par des non-Canadiens dans le but d’acquérir le contrôle d’une « entreprise canadienne », afin de déterminer si l’investissement est à l’« avantage net » du Canada (l’« examen de l’avantage net »); et (ii) l’examen relatif à la sécurité nationale des investissements effectués par des non-Canadiens, y compris les investissements sans acquisition du contrôle, afin de déterminer si l’investissement « porte atteinte à la sécurité nationale » (l’« examen relatif à la sécurité nationale »).
Ces dernières années, l’examen relatif à la sécurité nationale s’est imposé comme le principal filtre appliqué aux investissements étrangers. Des changements très récents ont par ailleurs accru les pouvoirs de sélection du gouvernement canadien, qui peut bloquer des projets comportant des risques pour la sécurité nationale, notamment en ce qui a trait à la défense et la sécurité économique.
Examen de l’avantage net
Dans le cadre d’examen de l’avantage net, un non-Canadien qui souhaite constituer une nouvelle entreprise ou acquérir le contrôle d’une entreprise canadienne existante doit déposer l’un ou l’autre des documents suivants :
- un simple « avis d’investissement »;
- une « demande d’examen » très détaillée.
Une « entreprise canadienne » est définie comme une entreprise exploitée au Canada qui :
- possède un établissement au Canada;
- emploie au Canada au moins un individu travaillant à son compte ou contre rémunération dans le cadre de son exploitation;
- dispose d’actifs au Canada pour son exploitation.
La propriété ou le contrôle actuels de l’entreprise ne sont pas pertinents pour cette détermination. Par conséquent, même si elles sont sous contrôle étranger, les unités exploitées au Canada sont considérées comme des « entreprises canadiennes ».
Sous réserve des dispositions particulières visant les entreprises culturelles, l’examen de l’avantage net ne s’applique qu’à « l’acquisition du contrôle » d’une entreprise canadienne ou de la quasi-totalité de ses actifs. Aussi, l’acquisition de plus du tiers des intérêts avec droit de vote d’une unité constitue en théorie une acquisition du contrôle de celle-ci, mais cette présomption peut être renversée si l’acquéreur démontre qu’il ne contrôle pas l’unité dans les faits. L’acquisition de plus de la moitié des intérêts avec droit de vote de l’unité est réputée constituer irréfutablement une acquisition de contrôle.
L’avis d’investissement peut être déposé avant la réalisation de l’investissement (ou la constitution de la nouvelle entreprise) ou dans les 30 jours suivants. Lorsqu’une demande d’examen est exigée, elle doit être déposée avant la réalisation de l’investissement. Celui-ci est alors retardé jusqu’à ce que le ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique (ou, dans le cas d’une entreprise culturelle, le ministre du Patrimoine canadien) (collectivement, le « ministre ») détermine que l’investissement proposé est à l’avantage net du Canada8. Le délai de traitement initial est fixé à 45 jours suivant le dépôt d’une demande d’examen dûment remplie, mais le ministre peut le rallonger de 30 jours unilatéralement, puis demander d’autres prolongations avec l’accord des investisseurs, qui n’ont pour ainsi dire pas d’autre choix que d’accepter. Ajoutons que le délai de traitement est automatiquement prolongé lorsque l’investissement fait l’objet d’un examen relatif à la sécurité nationale. En règle générale, une fois la demande d’examen déposée, l’investisseur ne peut aller de l’avant tant que le ministre n’a pas confirmé que l’investissement est à l’avantage net du Canada.
L’obligation de déposer un avis ou une demande d’examen en vertu de la Loi sur Investissement Canada incombe uniquement au non-Canadien qui réalise l’investissement. L’entreprise canadienne ou le vendeur canadien qui est partie à l’opération n’a aucune obligation de dépôt, bien qu’il fournisse généralement à l’investisseur les renseignements nécessaires. Le dépôt d’un avis ou d’une demande d’examen ne coûte rien.
Seuils au-delà desquels une demande d’examen s’impose
Lorsqu’un non-Canadien prend le contrôle d’une entreprise canadienne existante, une demande d’examen est requise si la valeur de l’entreprise acquise dépasse le seuil applicable parmi les suivants :
- 2,079 G$ CA1 de « valeur d’affaire2 » dans le cas d’un « investisseur (traité commercial)3 » qui n’est pas une « entreprise d’État », ou dans le cas d’un investisseur qui n’est ni un investisseur (traité commercial) ni une entreprise d’État si l’entreprise acquise est contrôlée par un investisseur (traité commercial);
- 1,386 G$ CA4 de « valeur d’affaire » dans le cas d’un investisseur qui n’est ni un investisseur (traité commercial) ni une entreprise d’État, mais plutôt un « investisseur OMC5 »; ou dans le cas d’un investisseur qui n’est ni un investisseur OMC ni une entreprise d’État, si l’entreprise acquise est contrôlée par un investisseur OMC. (Remarque : Ce seuil ne concerne que les acquisitions directes. Les acquisitions indirectes réalisées par tout investisseur OMC, y compris des entreprises d’État, ne sont pas sujettes à examen de l’avantage net, mais doivent faire l’objet d’un avis d’investissement. Cette exception ne s’applique toutefois pas aux investisseurs non OMC ni à l’acquisition d’entreprises culturelles.);
- 551 M$ CA6 d’actifs si l’investisseur est à la fois un investisseur OMC et une entreprise d’État, ou si l’investisseur est une entreprise d’État sans être un investisseur OMC et que l’entreprise canadienne acquise est contrôlée par un investisseur OMC;
- 5 M$ CA de valeur d’actif pour une acquisition directe et 50 M$ CA de valeur d’actif pour une acquisition indirecte7 dans les rares cas où l’investisseur n’est pas un investisseur OMC et où l’entreprise canadienne n’est pas contrôlée par un investisseur OMC;
- 5 M$ CA de valeur d’actif pour une acquisition directe et 50 M$ CA de valeur d’actif pour une acquisition indirecte dans le cas d’une entreprise culturelle (notamment du secteur de la publication, de la distribution ou de la vente de livres, de revues, de journaux, de films ou de musique).
En outre, malgré ce qui précède, tout investissement qui nécessite habituellement un simple avis d’investissement (p. ex. la constitution d’une nouvelle entreprise canadienne) et qui est lié au patrimoine culturel du Canada ou à l’identité nationale peut faire l’objet d’un examen, à la discrétion du ministre du Patrimoine canadien.
Par ailleurs, des modifications apportées à la Loi sur Investissement Canada (qui n’entreront vraisemblablement pas en vigueur avant 2026) imposeront de nouvelles obligations de dépôt préalable à la réalisation d’investissements étrangers, tous montants confondus, dans certains secteurs appelés « activités commerciales réglementaires » – notamment les minéraux critiques (dont le lithium utilisé dans les piles et batteries), les technologies de pointe (dont l’IA, les semi-conducteurs, etc.) et les actifs culturels (comme les médias) – si l’investissement donne accès à des renseignements techniques importants qui ne sont pas accessibles au public (p. ex. des données exclusives) ou à des actifs importants, ou s’il confère le pouvoir de nommer des membres du conseil d’administration ou de la haute direction. Ces obligations seront imposées même si les seuils présentés ci-dessus ne sont pas dépassés.
Teneur de l’examen de l’avantage net
Le ministre doit tenir compte des facteurs ci-dessous pour déterminer si l’investissement sera à l’avantage net du Canada.
- L’effet de l’investissement sur le niveau et la nature de l’activité économique au Canada, notamment sur :
- l’emploi;
- la transformation des ressources;
- l’utilisation de pièces et d’éléments produits et de services rendus au Canada;
- les exportations canadiennes.
- L’importance de la participation de Canadiens dans l’entreprise ou la nouvelle entreprise en question et dans le secteur industriel canadien dont cette entreprise fait ou ferait partie.
- L’effet de l’investissement au Canada sur :
- la productivité;
- le rendement industriel;
- le progrès technologique;
- la création de produits nouveaux;
- la diversité des produits.
- L’effet de l’investissement sur la concurrence dans un ou plusieurs secteurs industriels au Canada.
- La compatibilité de l’investissement avec les politiques nationales ou provinciales en matière industrielle, économique et culturelle.
- La contribution de l’investissement à la compétitivité canadienne sur les marchés mondiaux.
Le ministre a publié également des lignes directrices sur les investissements par des entreprises d’État étrangères. La LICet les prises de position du gouvernement fédéral interdisent notamment aux entreprises d’État étrangères d’acquérir le contrôle d’entreprises canadiennes d’exploitation de sables bitumineux. De plus, l’examen de l’avantage net est généralement beaucoup plus approfondi pour les entreprises d’État étrangères, tous secteurs confondus. Par exemple, le gouvernement du Canada a publié le 28 octobre 2022 sa politique sur les minéraux critiques, qui dit ceci : « Étant donné l’importance stratégique des minéraux critiques et les risques économiques inhérents posés par les entreprises d’État étrangères […], les demandes d’acquisitions de contrôle d’une entreprise canadienne mettant en jeu des minéraux critiques par une entreprise d’État étrangère ne seront considérées comme étant à l’avantage net du Canada qu’à titre exceptionnel. »
Si l’on exclut ceux des entreprises d’État étrangères, les investissements majeurs au Canada sont rarement bloqués au terme de l’examen de l’avantage net prévu par la LIC. Cependant, dans presque tous les cas nécessitant le dépôt d’une demande d’examen, des engagements portant sur l’exploitation future de l’entreprise canadienne par l’investisseur doivent être fournis par ce dernier comme condition préalable à l’approbation du ministre. Les modalités de ces engagements, négociées par le ministre et l’investisseur, sont généralement confidentielles. La portée et la durée des engagements dépendent de l’opération envisagée et des projets d’avenir pour l’entreprise en question, que l’investisseur aura exposés dans sa demande d’examen. Une fois les engagements incorporés à la demande d’examen approuvée, l’investisseur est tenu de les respecter et doit normalement rendre compte au ministre, sur une base régulière, des progrès accomplis depuis la réalisation de l’investissement.
Examen relatif à la sécurité nationale
L’examen relatif à la sécurité nationale prévu dans la Loi sur Investissement Canada est un processus distinct de l’examen de l’avantage net. Tout investissement direct ou indirect réalisé au Canada par un non-Canadien, quelle qu’en soit la valeur et qu’il confère ou non le contrôle de l’entreprise, est assujetti au premier s’il risque de porter atteinte à la sécurité nationale. Si l’examen révèle un risque de préjudice, l’investissement est soit interdit complètement, soit autorisé à certaines conditions fixées par le ministre ou le gouverneur en conseil (dans les faits, le conseil des ministres fédéral). Lorsque l’investissement a déjà été réalisé, le conseil des ministres peut contraindre l’investisseur, par décret, à procéder à une cession.
Délais associés à l’examen relatif à la sécurité nationale
Si le ministre a des motifs raisonnables de croire que l’investissement projeté ou déjà réalisé par un non-Canadien présente un risque pour la sécurité nationale, il peut transmettre un avis à l’investisseur lui indiquant que l’investissement pourrait faire l’objet d’un décret d’examen. Le délai de réception d’un tel avis dépend des obligations de dépôt de l’investisseur dans le cadre de l’examen de l’avantage net :
- Si l’investissement nécessite un avis ou une demande d’examen, l’examen relatif à la sécurité nationale peut être enclenché dans un maximum de 45 jours suivant le dépôt du document.
- Si l’investissement ne nécessite ni avis ni demande d’examen (p. ex. en l’absence d’acquisition du contrôle), le délai varie selon que l’investisseur dépose ou non un « avis volontaire », qui ressemble beaucoup à l’avis obligatoire :
- Le processus d’examen relatif à la sécurité nationale peut être enclenché dans un délai maximal de 45 jours suivant le dépôt d’un avis volontaire.
- En l’absence d’avis volontaire, il peut être lancé en tout temps dans les cinq années suivant la réalisation de l’investissement.
Une fois le processus entamé, le ministre dispose de 135 jours pour réaliser l’examen relatif à la sécurité nationale. Il peut aussi obtenir des prolongations avec l’accord des investisseurs, qui sont pratiquement tenus d’accepter. L’examen peut nécessiter de 45 jours à plus d’un an, selon la complexité du dossier. Pour l’exercice 2023-2024, la durée moyenne était de 163 jours. Notons qu’un investissement projeté ne peut généralement pas être effectué avant la conclusion de l’examen.
Teneur de l’examen relatif à la sécurité nationale
Ces dernières années, l’examen relatif à la sécurité nationale s’est imposé comme le principal filtre appliqué aux investissements étrangers. Des modifications apportées récemment à la LIC ont par ailleurs accru les pouvoirs de sélection du gouvernement canadien, qui peut bloquer des projets comportant des risques non seulement pour la sécurité nationale, mais aussi pour la sécurité économique (sans le dire, le gouvernement visait clairement la politique commerciale de l’administration Trump).
Dans le cadre de l’examen, le ministre doit consulter le ministre fédéral de la Sécurité publique et de la Protection civile. Normalement, il consulte aussi de nombreux autres ministères et organismes fédéraux, dont le Service canadien du renseignement de sécurité, la Gendarmerie royale du Canada, l’Agence des services frontaliers du Canada, les ministères de la Justice, de la Défense nationale, des Transports, de la Santé et des Finances, et Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada.
Le concept de sécurité nationale n’est pas défini dans la LIC, mais la dernière version des Lignes directrices sur l’examen relatif à la sécurité nationale des investissements énonce l’approche suivie par le gouvernement lors de l’examen d’investissements étrangers. En pratique, les dispositions sur l’examen relatif à la sécurité nationale ont été interprétées comme visant les investissements par des non-Canadiens susceptibles de :
- compromettre la santé publique ou l’approvisionnement en biens et services essentiels à la population canadienne (énergie, services publics, nourriture, soins de santé, eau);
- compromettre l’accès à un minéral figurant sur la liste des minéraux critiques du Canada;
- nuire aux capacités et aux intérêts du Canada ou de ses alliés en matière de défense (notamment la recherche et développement et l’approvisionnement en technologies et en armes militaires);
- faciliter le transfert de technologies ou de savoir-faire sensibles à l’extérieur du Canada;
- permettre la surveillance ou l’espionnage par des intervenants étrangers ou compromettre les activités de représentants du renseignement ou des forces de l’ordre;
- faciliter les activités d’acteurs illicites (comme des terroristes, des organisations terroristes ou le crime organisé);
- porter atteinte à la sécurité économique du Canada en raison de l’intégration accrue des entreprises canadiennes à l’économie d’un autre pays.
Les investissements qui répondent à ces critères pourraient être considérablement retardés, et leur réalisation pourrait être assortie de conditions imposées par le gouvernement ou carrément refusée. Afin d’atténuer les risques pour la sécurité nationale, l’investisseur peut être tenu de prendre des engagements contraignants sur différents aspects : gouvernance d’entreprise, protection des données, utilisation des technologies, chaîne d’approvisionnement et bien plus.
Restrictions à la propriété d’entreprises
Outre les dispositions de la Loi sur Investissement Canada, tant le gouvernement fédéral que les gouvernements provinciaux imposent des restrictions à la propriété d’entreprises de certains secteurs stratégiques ou sensibles.
Institutions financières : En règle générale, sans approbation ministérielle, une banque étrangère ne peut détenir plus de 10 % des actions d’une catégorie quelconque du capital-actions d’une banque canadienne, y compris une filiale bancaire canadienne. Toutefois, diverses exceptions peuvent s’appliquer.
Radiodiffusion : Afin de favoriser la propriété ou le contrôle des entreprises de radiodiffusion par les Canadiens, le Parlement a promulgué une règle générale interdisant l’octroi d’une licence de diffusion au Canada à des non-Canadiens ou à des sociétés contrôlées de fait, directement ou indirectement, par des non-Canadiens.
Télécommunications : Pour favoriser la propriété et le contrôle des entreprises de télécommunications par les Canadiens, le Parlement a promulgué une règle générale stipulant que seules les sociétés appartenant à des intérêts canadiens et sous contrôle canadien constituées ou prorogées en vertu des lois du Canada ou d’une province peuvent exploiter une entreprise de télécommunications au pays.
Transport aérien : D’ordinaire, une licence d’exploitation d’une compagnie de services aériens intérieure ne sera délivrée qu’à une société contrôlée de fait par des Canadiens et dont au moins 51 % des intérêts avec droit de vote appartiennent à des Canadiens qui les contrôlent. Cependant, un non-Canadien qui respecte certains critères d’admissibilité peut obtenir des licences à l’égard de services aériens internationaux.
Exigences relatives au lieu de résidence des administrateurs
La Loi canadienne sur les sociétés par actions (la « LCSA ») exige qu’au moins le quart des administrateurs de la plupart des sociétés de régime fédéral soient des résidents canadiens. Voir le paragraphe 105(3) (Résidence) pour en savoir plus.