Cet article fait partie d’une série rédigée à l’intention d’entités internationales qui souhaitent lancer ou exploiter une entreprise au Canada, ou encore investir dans une société canadienne. Du droit de l’emploi au droit fiscal, chaque article couvre un secteur juridique fondamental au Canada et fait l’objet d’une mise à jour annuelle. Vous trouverez toute la série sur la page Faire affaire au Canada : Guide pratique de A à Z.
Le droit canadien traitant des pratiques monopolistiques et de la concurrence déloyale est prescrit principalement par la Loi sur la concurrence fédérale. Cette loi s’applique, à quelques exceptions près, à tous les secteurs d’activités et à tous les niveaux de commerce au Canada, et elle renferme des dispositions d’ordre civil et pénal. Entre autres infractions criminelles, on compte le trucage des offres, le complot, les accords de fixation des salaires et de non-débauchage, le télémarketing trompeur, et la publicité et les pratiques commerciales trompeuses. Les dispositions de nature non criminelle visent des « comportements susceptibles d’examen » qui comprennent les fusions, l’abus de position dominante et les accords anticoncurrentiels.
Le commissaire de la concurrence (le « commissaire »), qui dirige le Bureau de la concurrence (le « Bureau »), est chargé d’enquêter sur les pratiques anticoncurrentielles alléguées. Or, plusieurs dispositions civiles de la Loi autorisent également les parties privées à agir.
La Loi sur la concurrence a été passablement remaniée ces dernières années, signe d’une transformation en profondeur du cadre réglementaire canadien. Les fusions et les entreprises sont maintenant assujetties à une surveillance accrue, à des règles de conformité plus sévères et à un plus grand risque de sanctions à l’issue d’examens du Bureau ou de poursuites privées.
Avis de fusion
La Loi sur la concurrence définit la fusion (appelée « fusionnement » dans la Loi) en termes généraux qui englobent l’acquisition ou l’établissement, directement ou indirectement, du contrôle de l’entreprise d’un tiers, ou encore d’un intérêt relativement important dans une telle entreprise.
Au-delà de certains seuils, un avis de fusion doit être transmis au Bureau de la concurrence en la forme prescrite avant la réalisation de la transaction. Des frais de dépôt (88 690,45 $ CA au 1er avril 2025) et un délai d’attente s’appliquent. Pour la plupart des transactions, les principaux seuils sont les suivants :
- les parties à la transaction, en comptant leurs sociétés affiliées respectives, ont des actifs au Canada ou des revenus bruts tirés de ventes réalisées au Canada ou à partir du Canada qui dépassent 400 M$ CA;
- la valeur brute des éléments d’actif au Canada qui seront acquis; la valeur comptable des éléments d’actif canadiens de l’entité acquise; ou le revenu brut provenant de ventes au Canada, ou depuis le Canada, et réalisé à partir de tels éléments d’actif ou selon les registres comptables de l’entité acquise dépasse 93 M$ CA1.
De plus, dans le cas d’une acquisition d’actions comportant droit de vote, la transaction ne doit pas faire en sorte que l’acheteur et ses sociétés affiliées détiennent plus de 20 % des actions comportant droit de vote d’une société ouverte, ou plus de 35 % de celles d’une société fermée. Si l’acheteur et ses sociétés affiliées dépassent déjà collectivement les 20 % ou 35 %, selon le cas, la limite sera franchie lorsqu’un achat d’actions ultérieur fera passer à plus de 50 % la proportion des actions comportant droit de vote de la société cible qu’ils détiennent.
Si la fusion entraîne le dépassement du seuil applicable – et doit par conséquent faire l’objet d’un avis, chacune des parties doit déposer auprès du Bureau la documentation nécessaire, notamment :
- les formulaires d’avis dûment remplis, qui contiennent des renseignements sur les structures d’entreprise, les clients, les fournisseurs et les territoires de vente;
- des exemplaires des accords conclus en lien avec la transaction;
- l’ensemble des rapports, études, enquêtes et analyses qu’un dirigeant ou un administrateur de la société a préparés ou reçus dans le but d’évaluer ou d’analyser la transaction proposée.
Le délai d’attente initial est de 30 jours suivant le dépôt des derniers documents requis par les parties, mais le commissaire peut y mettre fin avant. En règle générale, les parties préparent ensemble et déposent auprès du commissaire une demande de certificat de décision préalable (« CDP »). Celle-ci consiste généralement en un texte qui explique pourquoi les parties estiment que la transaction proposée ne soulève aucune préoccupation importante. Si un CDP leur est délivré, les parties n’ont pas à déposer de documentation prescrite (si ce n’est pas déjà fait).
Le Bureau applique des normes de service internes (qui diffèrent des délais d’attente obligatoires). Ces normes prévoient des échéances officieuses pour l’examen d’un avis de fusion, que le Bureau arrive habituellement à respecter. La norme de service qui s’applique à une transaction, de même que le temps nécessaire à l’examen, dépend de la catégorie (non complexe ou complexe) dans laquelle le Bureau classe ladite transaction en fonction du risque de préjudice anticoncurrentiel mesuré par l’équipe d’examen. Les délais de réponse maximaux prévus sont les suivants :
- 14 jours pour une transaction non complexe;
- 45 jours pour une transaction complexe.
Si le Bureau n’a pas terminé l’examen d’une opération projetée à la fin du délai d’attente, différentes options sont à sa disposition s’il subsiste des craintes importantes au sujet des effets anticoncurrentiels de la transaction. Il peut, par exemple :
- demander des renseignements supplémentaires aux parties, auquel cas la transaction ne pourra être conclue qu’après 30 jours suivant la réponse à la demande d’information;
- exiger que les parties ne concluent pas la transaction avant la fin de son examen;
- assujettir la transaction à certaines conditions (p. ex., un engagement à maintenir les éléments d’actif séparés).
Le commissaire peut aussi présenter une demande ex parte au Tribunal de la concurrence (le « Tribunal »), un tribunal administratif indépendant supervisé par des juges de la Cour fédérale du Canada, afin d’obtenir une ordonnance provisoire empêchant la conclusion ou la mise en œuvre de la transaction proposée. Le cas échéant, les parties ne pourront conclure la fusion tant que Tribunal n’aura pas statué sur la demande.
Si l’examen ne révèle aucun problème, le Bureau peut délivrer un CDP ou produire une lettre de non-intervention indiquant qu’il conclut, sur la base de son analyse à ce jour, que la transaction proposée ne risque pas de limiter de façon importante la concurrence au Canada.
Lorsqu’une transaction devant faire l’objet d’un avis au titre de la Loi sur la concurrence vise une entreprise de transport, les parties doivent également soumettre un avis au ministre des Transports conformément à l’article 53.1 de la Loi sur les transports au Canada. Cet avis doit contenir sensiblement les mêmes renseignements que ceux présentés au Bureau, mais aussi de l’information sur les questions d’intérêt public relatives au réseau national de transport.
Révision des fusions
Le Bureau et son commissaire n’ont pas le pouvoir de bloquer ou de dissoudre une fusion ni d’imposer des conditions. Ils peuvent cependant demander au Tribunal de rendre une ordonnance en ce sens. Pour accueillir une telle demande d’ordonnance, le Tribunal doit être d’avis que la fusion est susceptible d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence. À quelques exceptions près, le commissaire est habilité à contester n’importe quelle fusion, y compris celles qui ne nécessitent aucun avis selon les seuils ci-dessus. Les fusions qui ne sont pas annoncées au Bureau peuvent être contestées jusqu’à trois ans après leur réalisation, contre un an pour les fusions annoncées.
Dans son examen de fond d’une fusion proposée, le Bureau doit déterminer si une contestation s’impose en répondant à la question suivante : la transaction empêcherait-elle ou diminuerait-elle sensiblement la concurrence au Canada dans le marché des produits ou le marché géographique en cause? Une disposition de la Loi sur la concurrence prévoit que lorsque le commissaire conteste une fusion, celle-ci est présumée empêcher ou diminuer sensiblement la concurrence si la part de marché combinée excède 30 % ou si l’indice de concentration post-fusion (l’indice de Herfindahl-Hirschman) augmente de plus de 100 points pour s’établir à plus de 1 800. En cas de contestation par le commissaire, les parties à la fusion ont le fardeau de réfuter la présomption de préjudice anticoncurrentiel.
Pour déterminer si une fusion empêchera ou diminuera sensiblement la concurrence, le Tribunal de la concurrence examine divers éléments, dont :
- les parts de marché et la concentration;
- l’étendue et l’efficacité de la concurrence après la fusion;
- les entraves à l’accès au marché;
- la possibilité de déconfiture de l’entreprise d’une des parties à la fusion si celle-ci échoue;
- les effets de réseau dans le marché;
- les effets sur la concurrence hors prix ou par les prix, notamment la qualité, le choix ou la vie privée des consommateurs.
Si le Tribunal estime que la fusion contestée par le commissaire est susceptible de diminuer sensiblement la concurrence, il peut l’interdire ou la dissoudre en totalité ou en partie, ou l’autoriser à certaines conditions. Les parties à la fusion et le commissaire peuvent aussi signer un consentement par lequel les parties s’engagent à poser certains gestes, sous peine de sanctions prédéterminées, afin que le commissaire renonce à la contestation.
Infractions criminelles
Le procureur général du Canada a la compétence exclusive sur toutes les poursuites intentées au criminel en vertu de la Loi sur la concurrence. C’est donc à lui que le commissaire renvoie les infractions criminelles présumées pour qu’elles fassent l’objet d’une poursuite devant les tribunaux. Tant les sociétés que les particuliers peuvent être accusés d’infractions criminelles, dont le complot et le trucage d’offres, ainsi que certaines pratiques publicitaires et commerciales trompeuses, notamment l’indication de prix partiel. Ils encourent alors des amendes, des peines d’emprisonnement ou les deux.
La principale infraction criminelle prévue dans la Loi sur la concurrence est le complot, qui englobe tout accord ou arrangement (officiel ou non) conclu entre des concurrents ou des concurrents potentiels visant à :
- fixer, stabiliser, augmenter ou contrôler les prix;
- se répartir les ventes, les territoires, les clients ou les marchés;
- fixer, stabiliser, contrôler, empêcher, réduire ou éliminer la fabrication ou la fourniture d’un produit.
Ce type d’accord est illégal en soi : qu’il ait ou non un effet anticoncurrentiel, les parties s’exposent à de lourdes amendes ou peines d’emprisonnement, voire les deux.
Les modifications entrées en vigueur en juin 2022 sont venues criminaliser les accords de fixation des salaires et de non-débauchage entre employeurs, désormais passibles des mêmes sanctions que les complots criminels. Il suffit qu’au moins deux employeurs s’entendent entre eux, qu’ils soient concurrents ou non.
Ces modifications ont aussi éliminé l’amende maximale pour complot.
Aux sanctions criminelles s’ajoute la possibilité pour les parties privées d’intenter une action collective devant les tribunaux civils pour obtenir un dédommagement correspondant au préjudice subi par les membres du groupe.
Publicité et pratiques commerciales trompeuses
La Loi sur la concurrence renferme également des dispositions visant à mettre un frein à la publicité et aux pratiques commerciales trompeuses. Grosso modo, ces dispositions interdisent la communication au public de déclarations qui sont fausses ou trompeuses « d’une façon importante », qui ne se fondent pas sur une mise à l’essai suffisante et appropriée ou qui contiennent de faux témoignages ou des indications erronées quant au prix. Toute personne qui donne de telles indications sciemment ou sans se soucier des conséquences s’expose à des poursuites et à des sanctions au criminel, ainsi qu’à des actions collectives intentées par des parties privées. En revanche, lorsque les indications n’ont été données ni sciemment ni par insouciance, la Loi sur la concurrence prévoit des sanctions civiles : on peut par exemple rendre une ordonnance interdisant la poursuite de la pratique anticoncurrentielle, imposer d’importantes sanctions administratives pécuniaires (jusqu’à 10 M$ pour une première infraction et 15 M$ pour les infractions subséquentes) ou autoriser les personnes touchées par le comportement à recouvrer un montant qui ne peut excéder la valeur du bénéfice tiré.
Les pratiques commerciales trompeuses de nature criminelle comprennent l’indication de prix partiel, le double étiquetage des prix, les ventes pyramidales, la vente à prix d’appel et la communication d’avis trompeurs concernant les prix. La Loi sur la concurrence interdit les concours publicitaires dans lesquels on laisse entendre que l’intéressé a gagné ou gagnera un prix ou un avantage s’il lui est demandé de payer une somme d’argent ou d’engager des frais, à moins qu’il gagne véritablement le prix et que l’information réglementaire soit donnée. La responsabilité criminelle à l’égard des pratiques commerciales trompeuses peut aussi être imputée aux administrateurs et aux dirigeants de la société qui étaient à même de contrôler ou d’influencer la société ou les personnes agissant en son nom.
Parmi les pratiques commerciales trompeuses de nature non criminelle qui sont susceptibles d’examen, on compte les déclarations publiques fausses ou trompeuses qui ne constituent pas une infraction criminelle, l’écoblanchiment, l’indication de prix partiel, les affirmations qui ne s’appuient pas sur des essais suffisants et appropriés ainsi que la publicité-leurre.
Le procureur général du Canada a la compétence exclusive sur toutes les poursuites intentées au criminel en vertu de la Loi sur la concurrence. Tant les sociétés que les particuliers peuvent être accusés d’infractions criminelles, dont le complot et le trucage d’offres, ainsi que de certaines pratiques publicitaires et commerciales trompeuses. Ces infractions sont sanctionnées par des amendes, des peines d’emprisonnement ou les deux.
Abus de position dominante
L’abus de position dominante survient lorsqu’une entreprise ayant une puissance commerciale adopte (i) une pratique d’agissements anticoncurrentiels; ou (ii) un comportement qui a, a eu ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans un marché dans lequel la personne ou les personnes ont un intérêt concurrentiel valable, cet effet ne résultant pas d’un rendement concurrentiel supérieur.
Bien que la Loi sur la concurrence ne définisse pas précisément les comportements constituant un « abus de position dominante », ce terme renvoie généralement aux pratiques qui, objectivement, visent l’éviction, l’exclusion ou la mise au pas d’un concurrent. La Loi sur la concurrence en fournit quelques exemples, notamment : (i) l’achat de produits dans le but d’empêcher l’érosion des structures de prix existantes; (ii) le recours à certaines ententes d’exclusivité qui empêchent la concurrence; et (iii) l’adoption de normes visant les pratiques ou les produits et conçues pour empêcher l’entrée ou la participation accrue d’un concurrent dans le marché.
Tant le commissaire que des parties privées, avec l’autorisation du Tribunal, peuvent s’adresser au Tribunal pour obtenir une ordonnance en cas d’abus de position dominante allégué. Si le Tribunal conclut à un abus, il peut ordonner à la partie fautive de modifier son comportement ou lui imposer des sanctions administratives pécuniaires correspondant au montant le plus élevé entre (i) 25 M$ pour une première ordonnance et 35 M$ pour chaque ordonnance subséquente; et (ii) trois fois la valeur du bénéfice tiré du comportement trompeur ou, si ce montant ne peut pas être déterminé raisonnablement, 3 % des recettes mondiales brutes annuelles de la personne morale.
Accords anticoncurrentiels de nature civile
La disposition de la Loi sur la concurrence portant sur les accords anticoncurrentiels de nature civile (art. 90.1) habilite le Tribunal à rendre une ordonnance, à la demande du commissaire ou d’une partie privée autorisée, lorsqu’une entente nuisant à la concurrence est conclue. D’abord réservée aux accords entre concurrents, cette disposition a été passablement élargie pour englober une grande variété d’accords potentiellement anticoncurrentiels, y compris des accords verticaux entre fournisseurs et clients dont « l’un des objets importants » consiste à diminuer la concurrence. Cet élargissement vise notamment à contrer certaines pratiques du secteur immobilier, par exemple les clauses d’exclusivité entre locateurs et magasins piliers visant à exclure des commerces rivaux. Par exemple, un fournisseur qui empêche un détaillant de vendre les produits d’un concurrent pourrait désormais être poursuivi devant le Tribunal, malgré l’absence de rivalité directe entre les parties.
En cas d’infraction à cette disposition, le Tribunal peut imposer des sanctions comportementales et pécuniaires.