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Les délais de prescription s’appliquent aux demandes de communication d’information faites aux sociétés : L’affaire Lagana

Quand une société omet de présenter des états financiers vérifiés pendant des années sans qu’une résolution des actionnaires l’en dispense, à quel moment un recours des actionnaires devient-il prescrit aux termes de la Loi de 2002 sur la prescription des actions de l’Ontario? La Cour d’appel de l’Ontario a récemment répondu à cette question dans l’affaire Lagana v. 2324965 Ontario Inc., 2025 ONCA 607. Elle a confirmé que les délais de prescription s’appliquent aux demandes formulées aux termes de la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario (LSAO). Cette décision rappelle aux actionnaires en quête de transparence de la part d’une société l’importance d’agir rapidement. Les obligations continues imposées par la loi ne créent pas des réclamations perpétuelles.

Contexte

  • L’affaire concerne une société d’aménagement immobilier, 2324965 Ontario Inc. (la « société »), constituée en personne morale en 2012 par l’intimé, David Power, et par le père de M. Lagana.
  • M. Lagana a acquis les actions de son père, décédé plus tard la même année.
  • Les intimés sont la société et son actionnaire majoritaire, David Power, qui est l’unique actionnaire et qui contrôle le conseil d’administration.
  • Aux termes de l’article 154 de la LSAO, les sociétés ne faisant pas appel au public doivent remettre des états financiers (vérifiés, dans les cas où cela est exigé) aux actionnaires au moins 10 jours avant chaque assemblée annuelle (ou la résolution écrite en tenant lieu). Or, la société n’a jamais nommé de vérificateur et n’a jamais présenté d’états vérifiés.
  • M. Lagana affirme avoir maintes fois demandé, de façon informelle, d’obtenir ces états, mais n’avoir reçu que des états non vérifiés ou n’avoir rien reçu du tout.
  • En 2021, M. Lagana a présenté une requête en vertu des paragraphes 149(8) et 253(1) de la LSAO visant à faire nommer un vérificateur et à forcer la production d’états financiers vérifiés pour les exercices financiers 2013 et suivants.
  • Les intimés ont fait valoir que la réclamation était partiellement prescrite aux termes de la Loi de 2002 sur la prescription des actions (la « Loi »), notamment pour limiter le redressement aux états des deux années précédant la requête.
  • La juge ayant entendu la requête a accordé le redressement demandé, estimant que la Loi ne s’appliquait pas, puisque la demande n’était pas une « réclamation » au sens de celle-ci.
  • Les intimés ont interjeté appel auprès de la Cour divisionnaire, qui a accueilli l’appel et conclu que le délai de prescription s’appliquait, de sorte que M. Lagana avait droit aux états financiers vérifiés uniquement pour les deux exercices précédant la date de la requête.
  • M. Lagana a porté cette décision en appel, étant d’avis que les obligations prévues par la LSAO ne donnent pas lieu à des « réclamations » au sens de la Loi, et donc que les délais de prescription sont inapplicables.

Décision de la Cour d’appel

La Cour a rejeté l’appel de M. Lagana et confirmé la conclusion de la Cour divisionnaire selon laquelle les demandes d’états financiers vérifiés de plus de deux ans sont prescrites. Sa décision montre comment les droits des actionnaires prévus à la LSAO coexistent avec les délais de prescription de base prévus à l’article 4 de la Loi. Plus particulièrement, la Cour a conclu à l’unanimité que la requête présentée par un actionnaire au titre du paragraphe 253(1) pour faire produire des états financiers vérifiés constitue une « réclamation » visant l’obtention d’une ordonnance corrective, et donc qu’elle est soumise au délai de prescription de base de deux ans. L’obligation de remettre des états financiers vérifiés est liée à un droit des actionnaires. Comme l’obligation de la société correspond à un droit privé, il y a une réclamation, et la Loi s’applique. La Cour a toutefois tenu à préciser que l’applicabilité des délais de prescription aux ordonnances d’exécution dépend de l’interprétation législative du mécanisme en cause. Pour les obligations qui correspondent à des droits privés (comme sous le régime de la LSAO), les délais de prescription s’appliquent; pour celles qui sont d’intérêt public seulement, l’analyse pourrait être différente. 

Points à retenir

La décision revêt un intérêt particulier pour les actionnaires minoritaires de sociétés à actionnariat restreint. Les sociétés fermées ne font souvent pas vérifier leurs états financiers, vu les coûts élevés. Pourtant, la loi oblige toutes les sociétés à le faire, sauf si leurs actionnaires adoptent une résolution les dispensant de cette obligation. Cela dit, les droits des actionnaires concernant la transparence financière ne sont pas éternels : s’ils ne les font pas valoir en temps utile, ils peuvent perdre accès aux documents des années antérieures. Les actionnaires devraient garder des traces écrites de leurs demandes en ce sens et présenter des requêtes sans trop tarder lorsque les efforts informels échouent.

La décision montre aussi que les moyens de défense fondés sur la prescription peuvent être efficaces dans des litiges sur la gouvernance, surtout lorsque de vieux manquements sont reprochés. Cela dit, elle ne libère pas une société de ses obligations continues. Il faut quand même respecter les exigences de la LSAO, sans quoi la société risque de faire l’objet de nouvelles réclamations chaque année

L’affaire Lagana montre l’équilibre que les tribunaux ont trouvé entre la transparence et l’équité procédurale. Les parties aux prises avec des litiges en droit des sociétés devraient revoir leurs documents de gouvernance et agir sans tarder pour garder accès aux recours prévus par la LSAO.

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