une main qui tient une guitare

Perspectives

Priorités fiscales pour le prochain gouvernement du Canada

La récente prorogation du Parlement est déplorable sur plusieurs plans. Elle fait notamment en sorte que de nombreuses initiatives demeureront au point mort pendant plusieurs mois. La communauté d’affaires a l’habitude de gérer des risques, mais certains sont plus évitables que d’autres. En ces temps difficiles, la dernière chose dont les personnes qui prennent des décisions économiques importantes ont besoin est une incertitude législative qui persiste (pour des raisons vraisemblablement entièrement politiques).

Le système fiscal est l’un des nombreux volets touchés. S’il y a bien une chose qui est devenue évidente en 2024, c’est l’ampleur des conséquences que la politique peut avoir sur la fiscalité. La (prétendue) hausse du taux d’inclusion des gains l’illustre bien.

Comme des élections ce printemps semblent inévitables, il est fort probable qu’un nouveau gouvernement fasse bientôt son entrée. Ce gouvernement devra s’attarder sans attendre à la fiscalité pour rétablir une certaine prévisibilité qui permettra aux gens de prendre des décisions éclairées. Les grands partis politiques doivent dès maintenant réfléchir aux questions fiscales urgentes.

1. Améliorer la productivité du Canada

La faible productivité de l’économie canadienne est un problème vieux de plusieurs décennies. En 2024, une haut placée de la Banque du Canada a averti qu’il y avait « péril en la demeure », et c’est bien le cas. Le prochain gouvernement, quel qu’il soit, devra reconnaître que pour compétitionner sur la scène internationale et générer les recettes fiscales nécessaires pour payer ses programmes sociaux, le Canada ne peut plus être à la traîne. Il doit absolument revoir son approche en fonction de la réalité économique actuelle.

Les solutions ne se trouvent pas uniquement dans le système fiscal, mais il s’agit d’un élément incontournable. Les mesures fiscales visant à améliorer l’intensité capitalistique et la productivité du travail doivent être au sommet de la liste des priorités pour 2025. La décision du gouvernement actuel – annoncée dans l’Énoncé économique de l’automne 2024 – de rétablir entièrement, pour une période de cinq ans, l’Incitatif à l’investissement accéléré et les mesures de passation en charges immédiate pour la machinerie et l’équipement de fabrication et de transformation et le matériel pour la production d’énergie propre et la conservation d’énergie est un pas dans la bonne direction. Le fait de songer à la création d’un régime privilégié de brevets pour encourager la création et le maintien de la propriété intellectuelle découlant d’activités de recherche et développement menées au Canada en est un autre. Le temps est venu de réévaluer quelles sont les mesures fiscales et non fiscales qui permettent de mieux soutenir le programme de RSDE au Canada. Il faut utiliser tous les outils à notre disposition pour accroître notre productivité, y compris la politique fiscale. Sans cela, nous n’aurons pas les moyens de nos ambitions.

2. Procéder à une refonte fiscale

La dernière fois que le Canada s’est sérieusement penché sur ce qu’il devrait taxer, comment et dans quelles proportions, c’était dans les années 1960. Le monde n’est plus du tout le même aujourd’hui, et le régime fiscal canadien (dont les tarifs) doit absolument être revu et adapté en conséquence.

Le nouveau gouvernement aura la lourde tâche d’amorcer ce processus. Il y a plusieurs points à étudier et opinions à entendre, et il y aura de nombreuses décisions à prendre après un examen minutieux de toutes les possibilités. Il faut être prêts à recommencer à la case départ et regarder ce que d’autres pays ont tenté (les bons et les mauvais coups), sans idées préconçues. Vu la menace d’imposition de tarifs douaniers par les États-Unis, il est plus important que jamais que le Canada se dote d’un régime fiscal axé sur la croissance.

Les lois fiscales génèrent des revenus et influent sur les décisions commerciales, et l’erreur n’est pas permise. Quelles que soient les ressources nécessaires pour concevoir et mettre en œuvre le « meilleur » régime fiscal pour le Canada, son économie et sa population, l’investissement vaudra son pesant d’or.

3. Alléger le fardeau associé à la conformité fiscale

Le temps et les efforts nécessaires pour respecter les obligations fiscales, pour vérifier cette conformité et pour régler les différends représentent un énorme boulet pour l’économie. On ne peut pas y échapper, mais il y a de meilleures façons de faire. Une réforme offrirait un système beaucoup plus simple et moins coûteux à administrer pour les contribuables et les autorités. En attendant, il faut saisir toutes les occasions de simplifier le régime actuel au lieu de continuer d’ajouter sans cesse des obligations. Les contribuables canadiens croulent sous la pression et approchent du point de rupture (ou l’ont atteint).

Chaque demande, formulaire et règle qui s’ajoute a son prix et, la plupart du temps, le coût du fardeau imposé à tous ceux qui respectent les règles est trop élevé par rapport à ce que l’on gagne à rappeler à l’ordre les quelques fautifs. Les contribuables, surchargés, méritent un moratoire immédiat sur l’ajout d’obligations de déclaration et de dépôt. Ça suffit. Un régime d’autocotisation repose sur la bonne volonté des contribuables, et la confiance des Canadiens a été mise à rude épreuve ces dernières années (le récent fiasco des simples fiducies n’est qu’un exemple parmi d’autres). D’autres pays explorent différentes façons de simplifier le processus de déclaration et de perception. Le Canada devrait adopter ces judicieuses pratiques. Le gouvernement pourrait aussi réduire les coûts de la conformité des contribuables (et le nombre de différends à régler chaque année) en investissant davantage dans la vulgarisation des nouvelles règles fiscales (guides, schémas, explications sur l’objet, l’esprit, le but, etc.). Il faut déployer tous les efforts raisonnables pour faciliter la vie des personnes qui veulent respecter les règles, réduire les coûts et choisir pragmatiquement quand demander aux contribuables d’en faire plus.

4. Annoncer les intentions sur les enjeux majeurs

L’une des conséquences les plus frustrantes de la prorogation du Parlement est l’incertitude qui persistera encore plusieurs mois pour les entreprises qui ne savent pas si les mesures fiscales annoncées se concrétiseront et si d’autres seront adoptées. Certaines des règles concernées pourraient s’appliquer rétroactivement avant 2025. Personne ne s’attend à une parfaite limpidité, mais un tel flou dépasse le seuil de ce qui est raisonnable et étouffe l’économie, puisqu’il faut retarder certaines décisions en attendant de voir quelle sera la conjoncture légale.

On ne verra pas de nouveau gouvernement avant des mois, et il faudra attendre encore plus longtemps pour qu’il présente un budget. Les contribuables méritent de savoir à quoi s’attendre bien avant cela. Ceux qui souhaitent former le prochain gouvernement doivent établir et exprimer leur position sur les principaux enjeux fiscaux dès que possible, pour que les contribuables sachent à peu près à quoi s’en tenir après les élections. Par exemple, l’incertitude quant aux crédits d’impôt à l’investissement dans l’économie propre précédemment annoncés (dont certains ont été adoptés l’été dernier) a contribué à retarder de nombreux projets énergétiques, car les promoteurs, bailleurs de fonds et les acheteurs attendent d’en savoir plus avant de prendre de nouveaux engagements. C’est la dernière chose dont notre économie a besoin. On ne peut pas se permettre d’attendre jusqu’en mai ou juin.

5. Renoncer à l’augmentation du taux d’inclusion des gains en capital

Les règles mettant en œuvre l’augmentation du taux d’inclusion des gains en capital de 2024 (applicables à compter du 24 juin 2024) n’ont jamais été adoptées, car les travaux parlementaires ont été interrompus à l’automne. Cette mesure fiscale hautement douteuse, mise en œuvre d’une façon très injuste pour les contribuables, a obligé les autorités fiscales d’Ottawa à faire les frais d’une décision qu’elles n’ont pas prise. Les contribuables sont placés dans une situation intenable : la production de déclarations et le respect d’obligations fiscales prévues par des lois qui n’ont pas été adoptées sont source de coûts et de confusion pour tout le monde.

Le gouvernement a annoncé le 31 janvier qu’il allait reporter le changement à 2026, ce qui règle la question pour les contribuables et l’ARC à savoir comment les gains et les pertes de 2024 doivent être déclarés. Cela dit, cette proposition devrait tout simplement être abolie, et il faudrait penser à des mesures de réparation pour les milliers de contribuables qui ont engagé des frais importants pour planifier et réaliser des opérations en 2024 en se fiant à la date d’entrée en vigueur initiale, qui avait été choisie pour les pousser à générer des gains cumulés mais non réalisés avant cette date. Il aurait été facile d’offrir aux gens le choix de réaliser les gains à des fins fiscales seulement, sans le coût et les efforts nécessaires à la réalisation réelle des opérations, mesure qui aurait aussi été relativement facile à annuler dans le scénario actuel de non-adoption. Le gouvernement a choisi de ne pas le faire, et des contribuables de bonne foi en subissent les conséquences. Le système canadien d’autocotisation ne fonctionne que si les contribuables déclarent entièrement et fidèlement leurs revenus et opérations et soumettent les documents requis. Cette saga a mis à mal la confiance et le respect des contribuables envers ce système. Si le processus est injuste et déraisonnable, alors pourquoi respecter les règles? Les contribuables méritent mieux que de servir de pions aux politiciens.

6. Abolir la TSN

À la mi-2024, le Canada a introduit une taxe sur les services numériques (rétroactive à 2022!), faisant fi des protestations de la communauté d’affaires d’ici et des États-Unis. En apparence, cette taxe est imposée aux multinationales étrangères qui offrent des services numériques aux Canadiens, mais en réalité, ce sont les Canadiens qui la paient dans les prix qui leur sont facturés. Pis encore, comme elle s’applique presque exclusivement à des entreprises américaines, les législateurs des États-Unis (des deux partis) veulent répliquer avec de lourdes sanctions tarifaires et commerciales. Si elles devaient être appliquées, elles coûteront beaucoup trop cher au Canada par rapport aux revenus relativement modestes que la TSN permettra de générer.

Il y a de bonnes et de moins bonnes façons de faire de l’argent. Parmi les pires (surtout de nos jours) : provoquer une guerre commerciale perdue d’avance avec son plus grand partenaire commercial sur un enjeu qui tient beaucoup plus à cœur à son adversaire. En refusant d’abolir la TSN, on prête le flanc à une réplique de Trump qui nous laissera assurément perdants.

Toute personne qui se présente comme un choix sensé pour gouverner le pays doit penser à ces questions urgentes et présenter un plan aux Canadiens dès que possible. Le Canada ne peut plus se permettre d’attendre.

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